Journée assez difficile. Ça souffle fort. Les arbres bordent le halage et je vois de grosses branches tomber. Souvent je dois m’arrêter, attendre que les arbres se redressent et repartir.
J’avais hâte d’arriver à Nantes. Je traînais une douleur au genou droit depuis le 30 ième kilomètres à partir de Rennes. J’espérais qu’elle passe, mais elle a empiré, alors je devais parfois descendre de mon vélo et marcher. Je devais apprendre la patience, pas le choix de toute façon. Je pensais encore à faire demi-tour. Mais non, ce n’est pas ce foutu genou qui va me dicter ce que je dois faire ou ne pas faire. Je continue, même si je dois ramper ! Telles étaient mes pensées. Je mettais cette colère naissante à l’encontre de la nature, du vent qui me faisait obstacle, avant de me calmer et me dire que cela ne m’aiderait pas, qu’il valait mieux contempler ce qui se trouve autour de moi.
Je traversais des sortes de marais sans possibilité de sortir du halage. Personne. Seul avec la nature. Sensation belle et étrange à la fois. Si je m’arrêtais, je n’entendais presque plus rien, juste le son d’une nature discrète. Dans ces moments, j’avais conscience de vivre quelque chose de rare. Rare, mais pourtant accessible à chacun. Devenu rare pour moi et que j’avais souvent rendu, par mon mode de vie, inaccessible. Dans ces moments-là, j’espérais que mes promesses, celles de ne pas oublier ce qui venait de se passer, resteraient gravées. J’intitulais le dossier de mes pensées « la vraie vie » comme on le fait souvent dans ce genre d’occasion.
Avec mon rêve d’enfance, j’ajoutais ce rêve-là. Il n’était pas encore très clair, mais j’étais certain qu’il se préciserait au fil de ce voyage.
Enfin, ce jour-là, j’étais fatigué. Je n’avais pas envie de parler, pas envie de prendre de photos. Je n’étais pas de mauvaise humeur, j’étais d’humeur, j’étais dans l’humeur que je vivais, moi avec mes émotions, sans personne pour interférer. Pas d’obligation de changer mon état d’esprit, j’étais le seul qu’il pouvait affecter. Alors, comme le courant de l’eau que j’avais pour guide, je le laissais aller de lui-même.
Publication du 7 juin 2019
Je remets cette photo du lieu où j’ai dormi pour situer. Comment s’est passé la nuit ? Difficile. Je me rendrais compte plus tard que chaque première nuit d’un voyage ou d’une étape ( si elle a été coupée pas mal de temps ) est difficile.
Des idées que le quotidien esquive nous font face. Je pensais à ma mère – plus de ce monde. Des peurs affectives me tenaillaient dans le bas du ventre. Je me demandais ce que je faisais ça, ce qui m’avait pris de faire ça. Je me disais que j’étais bien chez moi. Pourquoi m’imposer ça ?
Puis plus rien. Le vide. Un gouffre profond s’ouvrait en moi. Je me sentais seul, si seul. Tellement seul. J’ai lâché quelques larmes… mais il me fallait dormir. Enfin, dans ma tente je suis resté aux aguets. Donc le sommeil n’est jamais très profond.
Le lendemain, réveil vers les 5h00 du mat’. Il fallait que je me lève tôt afin de faire ma toilette. Vu que je me déshabille totalement à la vue de tous, valait mieux que je le fasse dans le noir, comme ça, je verrais les autres venir, seulement moi, je ne voyais rien. Au début, je n’avais pas la technique, je n’avais pas de technique tout court d’ailleurs et j’utilisais beaucoup d’eau. Je mettais l’eau dans une bassine pliable ( celle que j’utiliserai pour le linge ) et puis avec un gant de toilette je faisais comme je pouvais.
Je me souviens que j’avais terriblement froid. Comme je l’ai déjà dit, l’été n’était pas encore arrivé et les nuits étaient très fraîches – bon, les nuits n’auront jamais été très chaudes de toute façon. Alors je claquais des dents et je tremblais de ton mon corps. Mais il fallait ab-so-lu-ment que je me lave. Pour moi c’est essentiel. Une fois fait, ma journée pouvait commencer.
La Loire… enfin ! Cela faisait des kilomètres que je l’attendais.
Tant que je longeais la Vilaine, je n’allais pas dans le sens de la Bourgogne. Vallée encaissée qui n’offrait pas de point de vue large, ce qui à force, fini par peser.
De plus, dans ce sens-là j’avais le vent de face. La veille, j’avais discuté avec un cycliste qui m’avait dit, pour me rassurer « quand vous passerez Nantes vous aurez le vent dans le dos, ça sera plus agréable » et en effet, une fois passé Nantes, le vent me poussait dans le dos : quel bonheur !
J’étais ébloui par le spectacle. Je crois que c’est à ce moment précis que je me suis rendu compte que ce que j’allais voir allait sûrement dépasser ce que j’imaginais. En préparant mon voyage, j’en avais oublié les raisons-même de ce voyage et ce qui allait le constituer. D’ailleurs, la bonne préparation avait ce but : vider mon esprit afin de profiter de ce que j’allais voir et de ce que j’allais vivre sans devoir penser à combler tous les manquements. Enfin, on a beau prévoir, il y a toujours des surprises. La vie nomade reste une vie prenante, une vie incertaine où chaque jour nous réserve des défis. C’est aussi ce que je cherchais, voir si j’étais capable de relever ces défis ou pas.
Le soleil commence à se coucher. Il faut que je me dépêche…
Enfin, j’ai pu trouver un endroit où dormir. Le vent souffle très fort, de plus en plus fort. J’espère que la tente va tenir…
Combien j’ai fait de kilomètres ?
Difficile à dire. Là je mets le trajet direct. Mais en réalité, je faisais plein de détour. Notamment pour aller faire les courses, chercher une boulangerie, parfois dans des coins paumés ( bon là ça va, je n’étais pas rendu dans la partie paumée qui viendra ensuite ). Les plus gros détours étaient dus au fait que je me perdais. J’ai mis du temps à capter comment ça fonctionnait les panneaux à suivre, car je suivais La Loire à vélo et l’Eurovélo 6 qui, comme vous pouvez le voir en-dessous, est très très longue – je la ferai peut-être un jour.
De plus, je ne pouvais pas trop utiliser mon téléphone car j’étais limité en batterie. J’avais une batterie externe et un panneau solaire pliable, mais vu qu’il ne faisait pas encore beau… Certains jours, les détours dépassaient les 40 kilomètres.
Ce jour-là, j’ai dépassé les 130 km. Le site où je calcule l’itinéraire ( France vélo tourisme ) me donne 121.76 km. Mais bien sûr on ne va pas que tout droit pour les raisons évoquées au-dessus et aussi parce qu’on visite un peu.
J’ai vu des familles partir, parents et enfants. C’était marrant de voir les enfants avec leurs petits paquetages. 🙂 En tout cas, la plupart des gens que je croisais ( beaucoup de voyageurs en groupe – ça doit être bien aussi ! ) partait plus tard que moi et rentrait au camping avant 17 h. Ce n’est pas le même type de voyage, mais sympa aussi. Enfin, c’est pour dire que l’on peut rendre le voyage familial. Après, il faut aimer pédaler quand même. Cela va sans dire.